samedi 29 mai 2010

Le flamboyant


La couleur des moun, leur démarche et leur dégaine sortent constamment PAP de sa grisaille. À cette période de l'année, le 'flamboyant' honore cette capacité des ayisien de mettre de la couleur dans ce béton ambiant. On voit de loin ces fleurs d'un 'rouge-pétant', de grands arbres pleins de cette couleur. La vivacité de la faune tropicale dans un seul arbre, monochrome en plus. Delonix regia est son nom scientifique. Pa mal plus 'flat' que flamboyant.

vendredi 28 mai 2010

Le comédien



À l'hôpital St-Michel de Jacmel ce matin, on attendait le début de notre réunion. Je meublais l'attente en circulant dans la cour de l'hôpital. Ce comédien m'a interpellé. Un blanc, une aubaine ! Il m'a montré le kyste qu'il avait sous son chapeau de paille, m'a expliqué que ça faisait deux jours qu'il dormait dans la cour en attente de rencontrer un médecin. Il m'a raconté sa vie pendant un bon moment et m'a amené voir la couchette qu'il s'était confectionnée dans le fond du garage de l'ambulance. Il a accepté que j'aille à la voiture chercher mon kodak. Un vrai comédien, ont peut facilement imaginer qu'il est plus facile de jouer sa vie que de la vivre, mais lui avait l'énergie et une bonne humeur contagieuse. En échange de ce beau moment, j'ai attrapé en passant le directeur médical de l'hôpital et lui ai présenté. En sortant de ma rencontre, je ne l'ai pas revu. J'espère qu'il a pu voir un médecin et repartir avec sa couchette.

mercredi 26 mai 2010

Ça chauffe


Il y a cette voiture calcinée, stationnée en plein centre-ville. Deux coins de rues plus loin, un Palais national détruit, le Palais de Justice vidé de ses débris. Juste à côté, un camp de sinistrés que les gaz lacrymogènes font régulièrement pleurer depuis quelques semaines. Même des coups de fusil sifflent dans leurs oreilles. Imaginez, être sorti de chez soi par bagay la, dormir sous des toiles depuis près de cinq mois, et voir son voisinage s’enflammer. Quant à nous, on prend toujours toutes les précautions nécessaires avant de s’aventurer dans ce secteur chaud, de ce pays chaud.

N'importe quoi !


Les manifestations se multiplient depuis quelques semaines. Certains événements soufflent sur le feu, question de le maintenir en vie, ou pire, de lui donner l'allure nécessaire à un incendie. La MINUSTAH est intervenue un peu fort lundi auprès d'un groupe d'étudiants de l'Université d'État. Les excuses publiques de l'ONU n'ont pas calmé les troupes. Un des étudiants impliqués expliquait aujourd'hui à la radio que cette présence internationale correspondait à une occupation de même nature que la tentative napoléonienne qui a suivi la révolution… Les ayisien ont le sens de l'histoire. L'enjeu de communication est ici très intéressant au plan des joutes politiques, les ayisien étant des artistes du discours. Chez nous, les spécialistes des communications se battent continuellement avec les 'discoureurs' pour qu'ils arrêtent de s'éparpiller et se concentrent sur le lead, le message clé. Celui que les gens devront retenir. À écouter les organisateurs, on comprends qu'ils ne peuvent se payer de spécialistes en communication pour les aider à peaufiner le message. À moins que ce ne soit pas une question de ressource, mais une dimension culturelle complètement opposée aux techniques de communication de masse dites 'modernes'. Un des organisateurs de la manifestation nous a fait lors d'une conférence de presse la nomenclature des 9 demandes de son groupe. Tant qu'elles ne seront pas comblées, on rempilera les rues et brulera des pneus ou des carcasses de voitures : Le départ de Préval, le renvoi des membres du Conseil électoral provisoire, le retour d'Aristide, le dédommagement pour les employés de la Téléco, la suspension des mesures d'urgence (la loi sur les 18 mois), la dislocation du Comité intérimaire sur la reconstruction d'Haïti, le départ de la MINUSTAH, la distribution d'abris temporaire à tous les sinistrés et la création d'emplois. Je m'attendais à entendre quelque chose sur la déforestation tant q'à défiler une telle liste d'épicerie, mais le niveau de préoccupation est ailleurs. Il devient difficile de suivre ces manifestations et les débordements qui y sont associés, et de penser que la démarche s'appuie sur quelque chose de sérieux. On a vite le sentiment que ces revendications deviennent le prétexte pour quelques personnes (ils ne sont jamais très nombreux dans les rues à manifester, au plus 1000 personnes selon les journaux) de maintenir un climat d'instabilité politique. 'Ça profite à qui tu penses ?' me lançait un collègue haïtien. Il y a cette idée ici que des politiciens soutiennent financièrement des gens pour entretenir le chaos et laisser l'impression à tous qu'on serait politiquement sur le bord du gouffre. La grève des étudiants de la faculté de médecine qui dure maintenant depuis plus d'un an serait elle aussi encouragée par quelques personnes bien placées… Effectivement, c'est n'importe quoi !

mardi 25 mai 2010

Reprise des répliques

Je le sais , je me répète. L'histoire elle-même se répète !! On vient de sentir une autre bonne secousse il y a dix minutes. Descendre les escaliers en courant pendant que certaines personnes ne bougent plus tellement l'habitude s'est bien ancrée. Moi, je n'y peux rien. Dès que la secousse est accompagnée de son bruit sourd, la frousse s'installe dans mes souliers et je quitte la pièce.

lundi 24 mai 2010

Débrouillardise et rigole

La pluie, qui s’était faite discrète dans les dernières semaines, a décidé depuis trois jours de sortir de sa gêne. Trois jours sans soleil ou presque, du jamais vu dans ce coin du monde. On a donc droit à des orages qui durent plusieurs heures, la nuit même ! Débrouillard et haïtien (c’est aussi bon au féminin) sont souvent des synonymes, l’absence de moyens force effectivement à avoir recours à des stratégies novatrices si l’on veut faire face à ses obligations. On commence donc à voir apparaître autour des camps des amoncellements de boue, le reste des rigoles que les gens creusent autour des tentes. À la Place-Saint-Pierre, la Marie de Pétion-Ville va avoir les bleus quand, dans plusieurs années peut-être, les gens vont libérer l’espace public. Les structures de ciment et de pierres qui entourent la place sont maintenant ouvertes partout, question de faire écouler l’eau. En fait, les haïtiens qui vivent dans les camps se creusent actuellement un système d’irrigation comme jamais le pays n’a pu se payer…

dimanche 23 mai 2010

Inégalités


Cette semaine, on a vécu une petite aventure avec Claudette. Claudette est cette femme qui nous donne un coup de pouce à la maison. En échange, on lui donne un coup de pouce dans la vie. Elle entre dans le salon mardi soir dernier en se tordant de douleur. Des crampes à la hauteur des reins qui nous font penser qu’elle est en train d’accoucher de petites pierres. On téléphone à un ami médecin pour avoir une idée de la meilleure clinique à visiter en cette soirée. Il nous donne rendez-vous à l’hôpital où il travaille, il s’occupera d’elle. 15 minutes plus tard, nos deux voitures arrivent en même temps dans le stationnement. Il prendra 30 minutes à questionner et à examiner Claudette, elle aura droit à une prise de sang et un petit pipi-dans-un-gobelet au laboratoire. Une heure plus tard, on était revenu à la maison et le lendemain matin, l’ami-docteur nous rappelait pour les résultats. Pas d’accouchement de pierres, mais des petits signes qui nécessitent une investigation plus approfondie. Mercredi en pm, Claudette voyait un médecin et faisait des tests plus approfondis. Une petite mésaventure qui démontre bien l’inégalité des chances. En moins de 24 heures, Claudette aura eu la chance de voir deux médecins, de passer une batterie de tests et de recevoir des médicaments toujours valides. Le tout pour une somme qui dans le contexte, et dans notre esprit de blanc, est plus que modique. Une somme qu’elle n’aurait pas été en mesure d’assumer sans avoir à faire des choix draconiens : Ne pas payer le loyer ou ne rien acheter pour manger cette semaine. Normalement, Claudette aurait continué à se torde dans sa douleur, elle aurait attendu au matin pour vider son petit change et prendre un tap-tap et se rendre dans un clinique ou dans un hôpital de l’État. Là encore, elle aurait été forcée de payer quelques moun pour avoir accès aux soins. Ils sont théoriquement gratuits, mais les brookers qui vous aident à naviguer dans le système demandent des kob. Sans eux, vous devrez allonger de quelques jours votre patience. Les soins auraient été offerts dans l'intimité d'une grande tente. Claudette aurait été plus chanceuse si une ONG était installée dans son quartier. Les soins auraient eu lieu dans une tente, mais ils auraient été gratuits. Peut-être dans sa langue ?

samedi 22 mai 2010

Attendre

Il y a des choses qui ne se cicatrisent pas facilement, surtout quand des événements viennent étirer les deux bouts de peau qui se ressoudaient. Pour un collègue, on attend toujours la réponse du gouvernement du Québec qui devait, dans l’urgence, favoriser le parrainage de certains haïtiens pris dans la tourmente. Chaque petite réplique rouvre la plaie. Pour un autre, un beau-frère aux USA lui confirmera bientôt qu’il peut arriver, il n’en peut plus d’attendre. Il y a cette stagnation malodorante pour des milliers de personnes qui dorment dans des tentes et pour lesquelles un avenir est possible ailleurs, même provisoire. Il y a ces autres cicatrices qui ne se soudent pas pour ceux que Bagay la a séparé de leurs enfants ou de leur conjoint. Dans plusieurs familles, des parents sont restés ici pour le travail alors que les enfants ont quitté pour terminer leur année scolaire, pour les garder dans un environnement moins risqué (tremblement de terre, violence sociale, criminalité, …) ou pour les deux. Dans certains cas, les couples ont été séparés, un est resté ici et l’autre est dans cet ailleurs. Attendre… Attendre qu’il se passe quelque chose pour que les enfants puissent revenir, que l’on puisse les rejoindre, que l’on puisse rejoindre un parrain ailleurs dans le monde, attendre que les cicatrices se referment.

jeudi 20 mai 2010

Le rapport à l'argent


Avant de prendre l’avion pour NY, je devais passer à la banque. La caissière regarde attentivement les trois chèques qui totalisent près de 400 $US. Elle trouve qu’il y a un 94 sous (centimes) qui pourrait ressembler à un 74. La valeur du chèque en écriture confirme 94, mais la façon dont le 9 est écrit pourrait faire penser que c’est un 7. Analyse de 10 minutes des trois chèques, conciliabule avec un superviseur et une gérante, juste ce qu’il fallait pour titiller ma patience. « Je m’en fous, considérez que ces 74 cents, on m’attend dans la bagnole, je pars en vacances !!! » Après ce bon 15 minutes, on tire la conclusion qu’on me doit bien 94 sous mais, on n’a pas la monnaie… Après quinze minutes de ‘niaisage’, je partirai donc de la banque avec 75 des 94 sous qu’on me devait. On est à la banque et on n’a pas de monnaie pour me donner 94 sous !!! Et ce n’est pas la première fois. Les services bancaires haïtiens sont, disons poliment, très particuliers. Le paradoxe de celui qui pense à se donner le moyen de gérer des grosses affaires sans même avoir la capacité de conclure les petites ! Dans mon ancienne vie, j’ai été officier d’un conseil d’administration pendant plus de dix ans. J’ai probablement signé 1000 chèques par année durant toute cette période et jamais mon gribouillis de signature n’a été remis en question. Ici, j’ai signé 20 chèques et 6 ont été retournés pour des irrégularités dans ma signature : Le nombre de sous-gribouillis dans mon gribouillis pouvant varier d’une journée à l’autre. En fait, il est toujours plaisant de passer à la banque dans un pays où le rapport à l’argent devrait, selon moi, faire l’objet d’études anthropologiques. Coincés entre la pauvreté extrême (donc de l’absence d’argent), l’abondance visible des classes riches et des expats (les inégalités dans l’accès à l’argent) et la corruption (l’argent malpropre), les haïtiens et l’argent font un drôle de couple. J’ai déjà raconté cette histoire d’un billet de 250 gourdes restés plus d’une heure sur les marches du stade de foot de PAP (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/03/journee-de-premiere.html), personne ne voulait être qualifié de voleur en le ramassant ! Au même moment, la corruption est partout, petite comme grande, tout le monde réussit à soutirer un petit morceau de ce à quoi il peut avoir accès. Il y a donc cette espèce de précaution maladive face au cash, précaution qui fait que les banques tètent sur des niaiseries et que tous les ayisien avec qui je travaille ne veulent d’aucune manière être responsable de gérer directement le moindre sou : « Je te laisse l’argent Labadie, c’est préférable que ce soit toi qui s’en occupe. »

mercredi 19 mai 2010

Docilité et violence


Il y a cette banque au centre-ville, les secousses n'ont pas achevé le travail fait par bagay la. Je retiens mes éternuements à chaque fois que je passe à côté, je ne voudrais surtout pas être responsable de son dernier souffle debout. Certains croient que la barrière protège les moun qui la frôlent, je n'y crois pas. Je passe le tout en troisième vitesse. Cette banque sur le bord de s'affaler sur la rue, pourrait ressembler à cette paix qui résiste toujours à laisser sa place à la violence. Quand on préparait notre séjour en Ayiti, tout le monde nous parlait de violence. On pense aux enlèvements qui avaient pris dans les dernières années un dimension épidémique. Aux petites armées privées ou aux gangs qui faisaient la loi dans Potopwins il n'y a pas si longtemps. Même le Canada nous conseillait 'officiellement' de ne pas y mettre les pieds ! Dans les nouvelles de la soirée, on lit que Sean Penn s'inquiète devant le Congrès Américain d'une poussée de violence si les choses ne prennent pas une autre allure. Sean Penn est en Ayiti depuis les premiers jours (c'est mon voisin mais je ne l'ai pas encore rencontrer !!). Même quand ça stagne, ça peut déraper !! Je n'ose pas être totalement en accord avec lui, depuis notre arrivée on nous annonce quelques poussées de fièvre au plan de la paix sociale. Il y a eu plusieurs occasions et puis rien… À cet effet, je m'engage aujourd'hui pour le reste de ma vie à déchirer ma chemise pour convaincre quiconque que les haïtiens sont les gens les plus dociles sur cette planète. Faussement, j'ai déjà écrit sur ce bloque que la violence était assise sur le bout de sa chaise, c'est l'inverse. Docilité et ayisien sont synonymes. Comment expliquer une si grande paix sociale après plus de 4 mois d'inefficacité ? Du gouvernement et de l'international ? Les rues sont pleines de débris et le resteront probablement pour les années à venir. Des gens campent de force depuis quatre mois et maintiendront ce statut pour des mois, si non des années. Malgré tout, les sourires et les fesses se font aller partout sur les rues. Même pas besoin de musique !

mardi 18 mai 2010

Maudit qu'le monde est beau (Dédé Fortin)


À la fenêtre d'un immeuble de Soho, il y avait cette vieille dame. Bien installée à son poste d'observation, elle regarde cette vie folle défilée sur son trottoir. Peut-être attend t-elle toujours son Roméo ? En fait, elle observe des touristes comme nous l'étions, les rues en sont pleines. Elle observe également ce défilé de modes (le 's' à mode est voulu) permanent qu'est NY. On est toujours frappé quand on quitte PAP du fait que la vie ailleurs nous semble un peu drabe. Pas nécessairement ennuyante, mais sans couleur. Sans cette vivacité et cette richesse que la rue (le salon du peuple !) draine tous les jours en Ayiti. Même aujourd'hui, jour férié pour fêter le drapeau national, on y a retrouvé cette effervescence qui fait que les gens sont beaux, qu'ils bougent bien. Heureux d'être de retour !

lundi 17 mai 2010

Remplir le vide


On nous avait annoncé avant de quitter Montréal que la vie en Haïti n’était possible que si on en sortait régulièrement. Je parle pour le blanc bien évidemment ! Il faut donc sauter dans le vide (vacances voudrait dire vide) aux trois mois, question de se préserver la partie mentale de la santé. Au début, on n’y croyait pas trop, mais à l’expérience, on confirme. L’intensité de tout y est trop grande, trop bouleversante ou trop choquante, ça dépend. Afin de se maintenir dans les excès, NY est également un bon spot. Comme ce Times Square tellement gros et lumineux qu’il en devient ridicule. À l’exemple de ce magasin de deux étages à l’honneur des M&M ! Un écran géant gigantesque fait danser en permanence les petits bonbons de toutes les couleurs. Juste en face, sur autre écran, des images du tremblement de terre d 12 janvier pour une publicité du Programme alimentaire mondial des Nations Unies. Il faut bien combler l’espace produit par ces milliers d’écrans !

dimanche 16 mai 2010

Ça bouge à NY


Pas simplement comme vous pensez. Il y a toujours un … de métro qui vous passe sous les pieds. Sur la rue, au resto, dans un commerce ou dans une galerie, on sent toujours le sol vibrer. Un bagay la en permanence. Il y aura sûrement un behavioriste pour venir nous expliquer que c'est une forme de désensibilisation ! En passant, je suis allé voir les locaux où la conférence sur la reconstruction d'Haïti a eu lieu, ils n'ont rien oublié… Où peuvent-ils être passés ? Aujourd'hui, une autre journée à terminer le travail commencé hier, c'est-à-dire achever les ampoules aux pieds…

samedi 15 mai 2010

L’intellectuel ayisien

Sur le vol qui nous amenait à NY, j’ai eu un voisin extraordinaire. Je ne le décris pas trop, des ayisien le reconnaîtraient tout de suite. Disons simplement l’intellectuel, le vrai. Celui qui a une culture générale à vous décrochez la mâchoire. Il m’a fait un analyse de la stratégie canadienne d’immigration dans ses dimensions politiques (donc idéologiques), historiques et économiques avec un niveau de détails inouï… Tout ça pour me faire comprendre l’impact sur la population du pays de la ‘ponction canadienne’ des cerveaux haïtiens. Je connaissais le truc, mais cette démonstration valait mon dix minutes de silence. Une culture assez générale pour être qualifiée d’internationale, un bonhomme qui a tout lu, se rappelle de tout. Celui qui a une subjectivité assez consciente pour comprendre que ses opinions ne dansent pas avec l’objectivité, l’intersubjectivité incarnée. Impressionnant je vous dis. On parlait de l’idée de la démocratie pour les ayisien et je lui disais que j’avais l’impression que l’on confondait moyen et finalité : ‘Je peux bien comprendre l’idée de la démocratie à tout prix, mais pour en faire quoi ?’ Sa réponse m’a plu, vous n’avez pas idée :
-Vous autres les québécois, vous êtes des francophones avec un cerveau d’anglo- saxon. Vous avez ce pragmatisme qui peut anéantir toute forme d’idéalisme. Nous autres les haïtiens, nous sommes des romantiques, on se fout de nos routes brisées, de notre désorganisation …
-Pis les 80% de la population qui ne mange pas tous les jours ?
-Ils ne mangeaient pas plus du temps de la dictature. Ils mangeront mieux quand les Nations-Unies nous laisseront mettre en œuvre une vraie démocratie haïtienne…

vendredi 14 mai 2010

Quelques jours de repos


Au lieu de 'repos', il aurait été préférable que j'écrive de 'vacances', les vacances ne sont pas toujours reposantes. On fait les valises ce matin, quatre jours de folies New-Yorkaises. Je pense que je vais en profiter pour aller sur le site où a eu lieu la conférence sur la reconstruction d'Ayiti, ils y ont sûrement oublier quelque chose d'important. Tout le monde ici était assis sur le bout de sa chaise, la vie serait miraculeusement meilleure après le 31 mars. On aurait au moins le sentiment que le pays allait avoir un plan, un projet. Qu'une vision de la suite allait s'imposer à nous. Depuis, c'est le silence. Quelques tentatives pour déplacer des déplacés qui sont dans des camps un peu plus à risque. Imaginez le risque quand les vents de 230 km vont venir dépeigner ce beau monde là, et faire voler les tentes et les abris. Personne n'y avait pensé, le monde entier n'a pas envoyé des tentes para-cycloniques… Pour se mettre dans l'ambiance des vacances, on est sorti hier soir. Un 'jam session' à la saveur reggae. C'est un des avantages des rastas, ils ne sont jamais dépeignés.

jeudi 13 mai 2010

‘Je ne sais pas comment la vie arrive à se faire belle’


Paul Piché chante cette phrase qui touche toujours, même au bout de centaine d’écoutes. Les écouteurs envoient en stéréo des sons distincts dans mes deux oreilles, entre au cœur une seule émotion. Incapable de décrire, intelligence ou limitation de mettre en mots ? Je m’en fous ! Malgré cette dévastation, les ayisien trouvent toujours le moyen de nous faire naviguer dans cette ‘vie qui arrive à se faire belle’, celle qui émerveille sans fin. Au réveil ce matin à Jacmel, des clowns mangeaient, il fallait se donner des forces pour la journée. Des comédiens haïtiens qui animent la vie dans les camps, parlent de prévention du paludisme, de la violence sexuelle, de la reconstruction sécuritaire, …. Aujourd’hui, ils étaient à Jacmel pour aborder la question de l’exclusion sociale des personnes handicapées. Problème dans la culture haïtienne aggravé par le séisme, ils sont aujourd’hui 40 000 de plus à avoir cette épithète sur la tête ! Les clowns étaient au nombre de 7. Ils font partie d’une troupe d’une centaine de personnes qui font dans la culture pour passer des messages, ‘trouver l’enfance pour mieux survivre’ me dira une des personnes qui les accompagne. Je voyais ces clowns faire la grimace à l’objectif de mon kodak, je pensais au sourire qu’ils font éclore dans la vie des campeurs, je me disais que la vie arrive toujours ‘à se faire belle’. À moins que ce soit notre capacité d’émerveillement qui soit toujours vivante. L’enfance pour mieux survivre.

mardi 11 mai 2010

Le petit peuple aux allumettes


Depuis quelques semaines, le niveau d’énervement politico-social grandit de manière continue au centre-ville de Port-au-Prince. Disons que dans la catastrophe, il y a eu la catastrophe. Hier (lundi), on a eu droit à une grosse journée de manifs. Ils ont réuni sur un même plateau tout ce qu’il faut : la vie dans les camps, la loi qui prolonge à 18 mois les mesures d’urgence, la création d’un comité intérimaire (50% haïtien/50% blanc) responsable de la reconstruction et de la gestion des milliards qui sont dans la poste, la reprise des cours, le président qui joue sur sa date de sortie, les élections sénatoriales et présidentielles de l’automne prochain, le retour d’Aristide comme ‘simple citoyen’, la cherté de la vie, … Dans la configuration de la ville, on n’est pas vraiment tourmenté par la tourmente. C’est comme si les troubles avaient lieu près de l’Hôtel de Ville de Montréal, que je travaillais à Ahuntsic et demeurais à Laval…. (Désolé pour ceux qui ne connaissent pas Montréal !) Le seul problème que ces troubles nous posent, c’est le report de réunion. J’ai l’habitude de descendre au centre-ville tous les jours, je dois donc rester au bureau quand ça chauffe. Ou encore quand on pense que ça pourrait chauffer. Le niveau de pré-panique varie en fonction des organisations. Même si cette forme d’expression de frustration n’est pas la plus constructive, ou malgré les motifs réels des manifestants, je ne peux pas dire que je ne partage pas une certaine colère de mes nouveaux amis. Aujourd’hui, une expat nouvellement arrivée en Ayiti me disait qu’elle était surprise (trop tôt pour être découragée !) de constater l’absence des autorités politiques dans la vie médiatique du pays. S’il faut quelques carcasses de voitures calcinées pour que ces gens sortent de l’ombre, laissons le peuple sortir les allumettes.

lundi 10 mai 2010

Retour aux sources

J'étais dans le stationnement du Caribbean au moment où bagay la s'est manifesté. 12 janvier, 16h53. Quatre ou cinq fois par semaine, j'allais dans cette épicerie. Avec plusieurs caissières, les gars qui coupaient les fromages, les autres qui donnaient les bouteilles d'eau, on se saluaient. La plupart des épiceries sont gérées par des arabes, des libanais principalement, le Caribbean ne faisait pas exception. Je voyais les trois gérants de l'épicerie à tous les jours, on n'en était venus à discuter de la disponibilité de certains produits, de la chaleur étouffante, … Quand le building est tombé devant moi, j'avais la certitude qu'ils étaient restés sous un bloc de béton. Aujourd'hui, j'ai rencontré le plus vieux d'entre-eux. J'étais content de le voir, mon créole bégayait. Une cicatrice de six pouce sur le bras gauche, il a passé les trois derniers mois à Miami pour chirurgie et réadaptation. Son comparse le plus jeune est toutefois resté sous les décombres. L'autre est vivant. C'était le troisième témoignage 'vivant' que j'entends du Caribbean depuis trois semaines. Juste à côté de moi au resto, une femme raconte à son amie qu'elle a passé une longue partie de la nuit à ramper dans le système de ventilation pour enfin se retrouver à l'air libre. J'ai été incapable de lui parler. Une autre qui me raconte que Dieu a poussé au sol sa grand-mère de 86 ans, entre deux caisses. On l'a sortie vivante et poussiérée des décombres vers 2h00 du matin. Ces gens me touchent, j'ai été si près d'eux, et en même temps si loin de leur calvaire.

dimanche 9 mai 2010

Accoucher dans le noir


J'ai travaillé dans un hôpital normal du pays cette semaine. Normal veut dire à peu près pas d'électricité, pas d'eau courante, pas de matériel pour les interventions, pas plus de médicaments. Un hôpital de près de 100 employés qui doit théoriquement s'occuper de la maladie de 350 000 personnes (pour s'occuper de la santé, on ne va pas à l'hôpital). Quant au nombre de médecins, vous aurez assez des doigts d'une seule main pour les compter. On trouvait dans la pharmacie de l'hôpital plusieurs boîtes de Tylenol, du Nyquil, du Pepto-Bismol pi c'est à peu près tout. Comme dans la majorité des hôpitaux du pays, des organisations internationale sont présentes. On trouve donc une petite section de l'hôpital électrifiée et climatisée toute la journée, avec un personnel qui gagne trois fois plus que leurs collègues de l'autre côté du corridor. C'est le genre de programme financé par un pays 'ami d'Haïti' ou une ONG et qui vise une problématique sanitaire spécifique (paludisme, SIDA, …). L'infirmière de la salle d'accouchement se plaint de ses collègues trois fois plus riches : elles ne veulent pas lui passer une ampoule électrique afin que les bébés ne soient pas forcés de faire leur premier cris dans l'obscurité. L'hôpital n'a pas les moyens d'acheter des ampoules électriques, même pour sa salle d'accouchement. L'infirmière travaille donc au son et au toucher ! Sa collègue 'payée-par-bailleur' lui répond qu'elle n'a pas le droit de lui prêter de la lumière, le bailleur fournit des ampoules pour sa partie du corridor, pas pour tout l'hôpital. Bien évidement, la salle réservée à la pharmacie de ce programme est remplie de pilules, de produits pharmaceutiques, de matériel servant aux interventions et ... d'ampoules électriques. Y'a des coups-de-pied-au-cul qui se perdent ! En fait, c'est la différence entre aider un pays, et travailler au renforcement de ses capacités.

samedi 8 mai 2010

Le silence des sons


Les sons font toujours leur place dans mes oreilles. Les prières du garçon de cour, les coqs qui se chamaillent les poules toute la nuit, les chiens qui font la même choses pour les chiennes, les klaxons des voitures qui te saluent, te remercient ou t'avertissent, la mer qui sans fin envahit la plage avant de la céder à mes orteils. Quelquefois, ce sont les écouteurs qui me chuchotent de la musique dans le tympan. On n'a pas idée de l'importance des sons, tellement que si on me proposait la cécité ou la surdité, je choisirais la cécité. Je préfère passer un souper à discuter avec des gens sans les voir, que de les voir sans pouvoir échanger. Ne vous inquiétez pas, suivant les conseils de tous ceux à qui j'ai annoncé cette préférence, je consulte un psy pour régler ce dilemme impossible. Les sons donc. Dans cette nouvelle vie de l'extérieur, rien n'est silence. Notre maison est complètement ouverte afin de permettre à l'air de circuler, aux mouches de sortir. La vie du voisinage crie en permanence. Le moteur diesel de la bagnole s'entend plus qu'il ne sent. Comme l'avion de Tortugair. Même bagay la a été sonore avant d'être dévastation, tout le monde l'a entendu avant de le voir. Les minutes de silence qui commencent plusieurs de mes réunions bourdonnent dans mes oreilles. Le silence sonore n'existe pas dans ce pays, il n'y a que le silence politique qui reste de marbre malgré les discours permanents des politiciens.

Glissement de terrain et terrain glissant


Encore un autre petit tour de Tortugair cette semaine. Du haut des airs, Port-au-Prince est une ville grise. Le béton y prend toute la place. Les montagnes qui l'entourent sont vertes, même s'il n'y pas une surpopulation d'arbres. La déforestation est un sujet tabou ici, même si des milliers de sacs de charbons sont vendus partout dans le pays. Quelques haïtiens vous diront que c'est une invention des étrangers, des blancs, que cette partie de l'île n'a jamais été vraiment très intense côté végétation. Pour la grande majorité, pa gen pwoblèm avec la déforestation. Seuls certains groupuscules se questionnent sur cet enjeu. Quelquwfois ils manifestent. Des organisations internationales (les canadiens et les américains entre autres) financent des projets de reboisement ou encore des projets qui visent à trouver une solution plus 'équitable' au charbon. L'enjeu du bois ici, c'est le charbon. Pour faire à manger surtout, mais également pour mettre dans le fer à repasser, question d'avoir une chemise impeccable. La fierté haïtienne a un prix ! Un projet financé par les américains permet de récupérer le papier et de le transformer en boulettes qui peuvent servir à chauffer le cabrit, le riz national ou la banane. Disons, qu'il faudrait 2000 projets de cette nature pour qu'on commence à voir la lumière au bout du tunnel. Juste un peu d'imagination et les milliards de beaux $ envoyés en Ayiti depuis bagay la auraient pu permettre la création d'un projet subventionnant l'utilisation du gaz pour la population la plus défavorisée incapable de se le payer, 90% de la population en fait. On transforme le marché du charbon en marché du gaz pour que les gens qui en vivent ne soient pas asphyxiés. On ne règle pas tout bien évidement, le gaz n'est pas une solution sans conséquence pour l'environnement. Mais dans le contexte d'extrême pauvreté dans lequel la population tente de survivre, les impacts négatifs du gaz sont sûrement moins ravageurs que la dévastation sociale (appauvrissement des populations paysannes par exemple) et écologique associée à la déforestation du pays. On n'a pensé qu'aux milliers d'haïtiens morts le 12 janvier quand le terrain sur lequel leur maison était construite s'est mis à glisser, plus rien pour lui donner une consistante. Aux zones complètement inondées parce que plus rien n'est en mesure de retenir l'eau. Il me semble que ce serait un bon moyen de transformer la générosité internationale en quelque chose de solide et de durable.

mercredi 5 mai 2010

Le défi d'Émilie


Une petite Mila est née aujourd’hui en Haïti. Elle refusait de se tourner la tête vers la sortie, c’est probablement bagay la qui l’a mélangée. Sa grande soeur Émilie ne sait pas vraiment ce qui l’attend, c’est probablement pour ça qu’elle a cet air pensif. Félicite ta maman et ton papa pour nous. T'inquiète, tu seras une bonne grande soeur !

mardi 4 mai 2010

Le vide côtoie le silence


Les pelles mécaniques qui avaient commencé à finir l'oeuvre de bagay la au Palais national n'y sont plus. Le travail n'était qu'entamé et puis hop, plus rien. Dans les heures qui ont suivi 16h53 le 12 janvier, les images de la destruction du Palais ont été importantes pour faire comprendre à tous qu'il y aurait maintenant un avant et un après 12 janvier. On y a même fait un petit pèlerinage dans les premiers jours pour confirmer que nous n'étions effectivement pas dans un rêve, les espoirs, même les plus naïfs, nourrissant toujours le doute. La dimension symbolique de cette destruction était forte, tout autant que celles des pelles mécaniques achevant la bête. De voir maintenant ce vide autour du Palais, abandonné par les pelles qui avaient entamé le ménage, me semble tout autant symbolique de ce qui se passe depuis des semaines. Plus rien ne se dit, plus rien ne se passe. Tout le monde a pris congé, les pelles autour du Palais comme l'État auprès des ayisien. À part les nationalistes qui décrient la loi sur les mesures d'urgence et quelques groupes d'étudiants qui revendiquent un retour en classe, le vide politique se déploie maintenant en silence. On n'en vient presque à croire qu'il ne reste qu'un bruit sourd dans la vie du million de moun qui dorment depuis quatre mois dans des abris de fortune. La révolution tant attendue va-t'elle se manifester ?

Ola, ou le


Jo me tord les oreilles avec cette chanson depuis quelques jours. En boucle, en boucle et en boucle. Elle veut que je danse avec elle dans le salon… Quand on voit les ayisien danser, il se crée un petit sentiment d’infériorité qui refroidit les ardeurs. ‘Personne nous regarde !’ qu’elle me dit. ‘On ne sait jamais, on pourrait devenir la vidéo la plus populaire sur Youtube en quelque heures seulement !’. Malgré tout, le bassin arrive toujours à se faire aller… Je vous l’envoie donc et vous me direz si vous avez envie de danser : http://www.youtube.com/watch?v=35Qdl1C5NZk&feature=related. La granmoun (grand-mère) qui danse tout au long de la vidéo termine le tout en disant ‘Tout ça me rappelle le temps passé.’ En fait, je pense que ce que Jo préfère le plus, c’est de voir la granmoun danser !

lundi 3 mai 2010

Un petit 4.4 en 4.4 secondes

14h30 cet après-mid. En pleine réunion dans un des buildings de l'Hôpital Universitaire. En plein centre-ville, quelques rues derrière le Palais national. Tout le monde a senti la secousse. 4.4 selon la rumeur. On a tous dévalé l'escalier pour prendre la sortie, Usain Bolt en aurait perdu ses espadrilles à essayer de nous rattraper. On entendait une frénésie dans la cours de l'hôpital. Les portables se sont mis à sonner. Une vraie petite frousse, la plus grande depuis plusieurs semaines. Certaines personnes ne voulaient pas terminer la réunion où elle avait commencé, mais dehors. À 37 degré, c'est un peu humide pour le papier... On a négocié de faire la terminer le tout dans le hall d'entrée, tout le monde avec des lunettes soleil.

dimanche 2 mai 2010

Merci m'man


Ma mère a patiemment attendu au Salon du livre de Québec pour que Dany Laferrière dédicace son dernier livre pour Jo et moi : « Pour Johanne et Jean-François à qui j’offre ce livre des événements que nous avons vécus ensemble. Affection. » La journée à la plage m’a permis de lire ce récit des événements. Plusieurs coins de page sont pliés, des idées ou des phrases à retenir. Ce livre confirme les milliers de discussions que nous avons eues au sujet de bagay la, il y a sûrement chez l’humain une communauté d’émotions ou de sentiments face à un événement de cet ampleur. Au-delà, de la couleur de la peau, de la culture, de la classe sociale, … La grande différence est sa connaissance profonde du pays et, comme tout ayisien, sa patience. Merci m'man…

samedi 1 mai 2010

Travail, torture et ombre


Premier mai, on est en congé pour la fête du travail. Drôle de concept, en congé pour la fête du travail. C'est comme si on célébrait nos mamans en les évitant… Remarquez qu'on aurait été quand même en congé, c'est samedi. Pour souligner le premier mai, j'ai passé un trois heures au boulot pour finir des choses qui refusent de se finir en semaine. Les rues étaient presque vides de bagnoles, les commerces étaient fermés. Outre moi-même, les seules qui travaillaient sont ces vendeuses de n'importe quoi et de tout qui s'installent sur les trottoirs des rues passantes et qui ne gagnent presque rien dans une journée de travail. C'est probablement parce qu'elles ne travaillent pas vraiment qu'elles ne sont pas en congé le premier mai… C'est à rappeler les liens étymologiques entre travail et torture ! J'ai photographié cette vendeuse de pâté et de viandes frites. Une granmoun probablement. Elle cherchait de l'ombre, une chaleur terrible s'attaque à nous depuis deux semaines. En fait, pendant que certains cherchent le bonheur, d'autres cherchent de l'ombre.