samedi 14 février 2009

Première expérience troublante avec la justice haïtienne : un vendredi 13 qui se termine bien

Après une première aventure chez le barbier, j’ai vécu cette semaine une deuxième première expérience. Un peu plus troublante celle-là. En partance de PAP très tôt le matin pour aller participer à une réunion à Montrouis (dans un bel hôtel en bordure de mer quand même), on a fait deux heures de bagnole un peu stressés. Il fallait sortir de PAP avant que les manifestations de Fanmi Lavalas commencent, elles commençaient à 7h00 selon un courriel de l’UAPC (Unité d’appui au projet Canadien). Bordel sur les routes même à 6h30 du matin ! À Montrouis, un accident. Un taxi-moto s’enfonce dans la Patrol. Rien de grave heureusement, une bonne frousse et quelques égratignures pour le chauffeur et sa cliente, et un niveau de stress élevé dans la cabine. Avril (un autre des chauffeurs du projet) me demande de rester dans la voiture et va s’enquérir de l’état des passagers de la moto. Attroupement autour de la bagnole, un peu d’énervement et d’engueulade entre les passants et le chauffeur à qui je dis que je vais me rendre à pied à l’hôtel (deux minutes de marche) aller chercher un médecin. C’est l’avantage de travailler dans le secteur de la santé, il y a toujours un médecin ou une infirmière à portée de main. Avril installe la cliente et le chauffeur dans la Patrol et les amène à l’hôtel ou un médecin constate que tout est OK sauf pour quelques égratignures. On arrive assez rapidement à la conclusion qu’Avril doit quitter l’hôtel avec ces deux blessés pour aller au commissariat le plus proche afin d’aller compléter les formulaires d’usage. Avril est un peu ‘shaké’ et je propose de l’accompagner.  Tous les haïtiens autour réagissent : « va surtout pas te montrer le bout du ‘né’ blanc au commissariat, le chauffeur et toi pourriez être dans de beaux draps. » Avril quitte pour le commissariat avec Sabella, une des secrétaires du projet. Conclusion rapide des policiers : le chauffeur de taxi-moto est responsable de l’accident. À sa charge en plus, il n’a pas de permis de conduire, pas de papier d’identité ni d’immatriculation pour la moto. Résultat, on l’emprisonne.  Pauvre mec, t’aurais dû rester coucher ! Combien de temps sera-t-il en dedans ? Personne ne pouvait le dire. Disons égoïstement, que jusque-là, tout semblait bien se dérouler pour nous. Des complications sont apparues quand les policiers ont confisqué les papiers d’identité du chauffeur, les immatriculations et assurances de la Patrol jusqu’à ce que le dossier de la cliente soit réglé. Sabella nous expliquait tout ça au téléphone et j’avoue que je n’étais pas du tout assuré de comprendre... En fait, la cliente, et ses parents qui étaient débarqués au commissariat entretemps, voulaient qu’on leur donne de l’argent afin de faire passer des radiographies et être confortés quant à l’état de la fille. Les policiers et la famille voulaient également aller directement devant un juge de paix pour aller ‘officialiser ’ le rapport de police et une entente sur le paiement de la radiographie. Le chauffeur et la secrétaire un peu paniqués par les nouveaux développements – Avril n’avaient pas besoin de ça pour être paniqué ! – ne savaient pas trop par quel bout prendre le problème. Tout ça se déroule au cellulaire bien évidement ! Il ne faut absolument pas que je sois sur place. Les policiers, le juge, la cliente et sa famille en profiteraient pour compliquer encore davantage les affaires : j’ai un signe de ‘piasse’ dans le front. Ils se déplacent donc devant le juge qui, après quelques énervements dans la salle d’audience, a simplement entériné le rapport de police et a rappelé à la famille que la personne responsable était le chauffeur de taxi-moto. Ça veut dire oubliez-ça si vous pensez à un recours quelconque. Avril a pu reprendre l’ensemble des papiers et revenir à l’hôtel juste à temps pour manger. Sabella nous a vraiment sortis du trouble. Quant à moi, j’avoue une certaine frustration d’être empêché d’agir dans ce genre de situation. Au bout du fil dans une salle de réunion, tu sais que les gens qui travaillent pour toi se dépatouillent avec un système sans règles, sans repères. Que leur arrivera-t-il ? Avril aurait pu se ramasser derrière les barreaux si, ce matin-là, si le policier s’était levé du pied gauche. Ou encore si le gars sur la moto avait eu plus de cash ou de pouvoir que nous. J’ai aussi compris dans les échanges cellulaires la panique d’Avril : en plus de la responsabilité à l’égard des personnes impliquées, s’ajoutait dans ses silences le « vais-je perdre ma job ? ». Tu sais tout ça, tu sais que la situation peut balancer d’un côté ou de l’autre, mais t’es coincé dans une impuissance forcée. Forcé par ta mauvaise compréhension de la langue, par ton ignorance de pseudo-règles qui peuvent s’appliquer dans ce genre de situation, par la couleur de ta peau, par l’épaisseur supposée de ton portefeuille, par ton incompréhension de ce que la faim peut amener un juge, un policier ou une famille à faire, ainsi que par une rationalité d’une logique trop simpliste pour pouvoir naviguer dans un environnement aussi complexe. Mon premier vrai choc culturel. J’ai repris la roue pour revenir, Avril a lourdement dormi une bonne heure.  Un silence paisible régnait dans la Patrol. 

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